Paul : Ma confiance, ma nouvelle force. Carole Zheng
« La notion de « changement » apparaît dans votre parcours comme un fil directeur. Est-ce que le changement a un sens particulier pour vous ? Le changement ça a été toute ma vie. Le vrai mot dans tout ça, c’est confiance. »
Cheveux grisonnants, yeux verts perçants, imaginez-le faire sa séance de CrossFit dans le bois de Boulogne ou encore plongeant son nez dans des tas de bouquins sur tous les sujets imaginables, c’est cette énergie qui m’a d’abord frappée chez lui. Cette fraîcheur contrastait légèrement avec une forme de sagesse due au temps, que la couleur de ses cheveux reflétait très bien par ailleurs ! Puis il y a eu cette sensibilité et ce romantisme, cette force et cette confiance nouvellement gagnée, une confiance qu’il dit et qu’il sait aujourd’hui être « authentique ». Lui, c’est Paul Pinto. Et voici son portrait.
Paul Pinto a perdu son père à l’âge de deux ans, ne reste de cette figure paternelle que son amour pour la boxe, sa force et sa détermination. Sa mère, concertiste, vivait uniquement pour sa passion – le piano –, elle l’a donc très tôt envoyé chez sa grand-mère. A l’âge de 7-8 ans, il intègre une institution pour les orphelins de pères morts pour la patrie. De ces années passées en pension – évoluant quotidiennement dans la brutalité du milieu –, puis de sa jeunesse passée à Marseille, une ville qu’il décrit comme « ne faisant pas de cadeau aux plus faibles », Paul en est sorti avec une certitude : réussir. C’est là qu’a commencé sa quête du Graal, cette recherche pour la reconnaissance auprès des autres qui n’était possible selon lui qu’en passant par la réussite sociale : avoir un bon diplôme, avoir un bon emploi pour gagner sa vie et fonder une famille. Alors, lorsqu’il voit son prénom sur la liste des admissibles aux oraux de l’Institut des Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, il se dit : « mon destin va changer. ».
Sa vie a connu un tournant ce jour-là : « ma vie a changé parce que le regard que les autres portaient sur moi n’était plus le même. Je n’étais plus le perdant que je pensais être ; j’avais un avenir. ».
En l’écoutant parler de son inscription à l’IEP d’Aix-en-Provence, cela m’a rappelé ce ticket d’or que Charlie finit par trouver dans une tablette de chocolat et qui lui ouvre les portes de la célèbre chocolaterie de Willy Wonka. Finalement, pour Paul, l’entrée à l’IEP a été un « ticket pour une meilleure vie ».
Diplômé de Science Po Aix-en-Provence, il se lance dans le conseil en management de changement dans de grandes entreprises internationales et il gravit les échelons un à un. Il a réussi. Il est parvenu à « modifier le cours du destin qui était déjà écrit d’une certaine manière » en faisant de ce « pessimisme sur soi-même » et « ces empreintes gravées dans l’esprit qui nous font dire que ” oui, je vaux moins que les autres” » une force pour progresser.
Il y a eu les « hommes de sa vie » – des figures paternelles qui l’ont poussé au plus haut ; cet amour père-fils n’a pas toujours été de tout repos puisqu’ils étaient durs et exigeants. Ils ont été des tuteurs, des mentors, des hommes rencontrés sur le ring, à l’armée et dans l’entreprise qui ont sincèrement voulu l’aider. Et puis il y a eu les femmes de sa vie – celles qui lui ont donné cette affection et cette bienveillance qu’il aurait souhaitées obtenir de sa mère. Paul Pinto s’est abreuvé de ces rencontres ; en réalité, il en était dépendant.
Et puis, il a fini par divorcer.
Le château de cartes s’est écroulé et il a compris qu’il n’était en réalité qu’un colosse aux pieds d’argile. Il a vécu pendant près de 40 ans avec cette fausse confiance qui ne naît qu’au travers du regard des autres. Cette béquille a remplacé chez Paul la confiance que nous inculque nos parents dès le plus jeune âge. « Je pense que j’ai enterré beaucoup de choses – trop longtemps – et tout a ressurgi au même moment : la blessure de l’abandon s’est réveillée au moment où je ne l’attendais pas. Je suis retombé dans le doute, dans une forme de honte, de culpabilité et de chagrin. C’était il y a quelques années, ça. ».
En 2015, Paul a pris la décision de comprendre. Il s’est certifié en Mindfulness, il s’est plongé dans de nombreuses lectures, s’est énormément documenté, a participé à d’innombrables conférences et webinars. Cela a été le début de sa thérapie. Et ça a fonctionné. La méditation et le sport à haute dose lui ont permis de repartir sur des bases solides. Il évoque L’Odyssée d’Homère pour illustrer cette période de reconstruction. A l’image d’Ulysse qui, après 25 ans d’épreuves loin de sa femme Pénélope, de son fils Télémaque et de son peuple, finit par rejoindre Ithaque, il s’est découvert. Il a retrouvé son Ithaque.
Est-ce que le fait de vous être spécialisé dans le « changement » pendant toutes ces années ne reflète pas une volonté, peut-être inconsciente, d’avoir voulu être prêt/d’avoir contrôlé ce changement dans votre vie qu’a été la perte de votre père ?
« Je ne sais pas, je ne suis pas capable de vous répondre. La seule chose dont je suis certain, c’est qu’à l’époque, je cherchais à la fin de mes études un job qui me donne un statut, une forme de prestige social et le conseil en management m’offrait cette possibilité. Le changement ça m’a permis d’approcher des disciplines auxquelles on ne pense pas forcément lorsque l’on fait du management : la sociologie, la psychologie, l’étude des comportements humains et du cerveau. C’est là qu’une porte s’est ouverte et j’ai été fasciné par tout ça. Notamment cette information scientifique qui dit que 90% de ce que nous faisons est inconscient. Cette découverte m’a beaucoup inspiré pour la suite. »
Est-ce que vous avez l’impression finalement d’avoir fui votre propre personne pendant toutes ces années ?
« Oui, parce que j’avais honte d’être qui j’étais, j’avais honte d’être orphelin, j’avais honte de ne pas être comme les autres : « eh, ils font quoi tes parents ? – Je n’ai quasi pas de parents. – Ah bon ? C’est bizarre ça. ». Ce manque de confiance en moi, [celle que les parents sont censés nous apporter] m’a fait vivre un peu trop dans l’attachement et dans la dépendance à l’autre, parce que j’avais besoin de ça. […] Ce n’est pas la vie qui a été injuste ou cruelle, c’est ce que j’ai pensé, c’est ce que j’ai dit, c’est ce que j’ai fait. C’est ça qui a été problématique, parce que la source de tout ça, ça a été mon besoin – plus que la moyenne – d’être aimé et d’être reconnu, qui m’a amené à faire des mauvais choix, des erreurs dans la vie professionnelle et personnelle. Aujourd’hui j’ai retrouvé une sorte de sérénité, de calme parce que j’ai compris d’où tout ça venait : tout ce qui a fait graver dans ma tête, petit, que je ne valais pas grand-chose, que le seul moyen d’avoir de la valeur était dans le regard des autres et pas dans le mien : c’était une fausse confiance, parce que née du regard des autres et non du mien. Et puis j’ai appris ce qu’était l’authentique confiance, celle qui nous dit que l’on vaut quelque chose avec notre propre regard. ».
Paul évoque quelques atouts dans les cartes qu’il avait tirées : son physique – plutôt beau garçon dans sa jeunesse, « là encore, le regard des autres intervient » – et puis la confiance qu’il a nourrie dans le sport et dans ses études. De ces pratiques sont nées une force et une confiance authentiques qui lui font dire que malgré les épreuves, il avait l’impression d’avoir un ange gardien.
Est-ce que vous diriez que le fait de vous être retrouvé aujourd’hui c’est le projet dont vous êtes le plus fier ?
Bien sûr ! Ça a même changé la relation que j’ai avec mes enfants : pendant très longtemps j’étais dans le mode de celui qui croit être le père – mais parce que je ne savais pas ce qu’était d’être père, je n’ai pas eu de modèle – pour moi un père c’était autoritaire, ça donnait des ordres, ça ne discutait pas, … Après le divorce, je me suis isolé et j’ai réfléchi. Ce dont je vous parle est très récent. Ma relation avec mes enfants a changé du tout au tout : ils me donnent des conseils, des conseils que j’accepte, je compte sur eux, ils comptent sur moi, on a une relation franche, même s’il y a encore certaines choses sur lesquelles il faut travailler … J’ai même envie de dire que la plus belle période de ma vie, c’est celle que je vis aujourd’hui – je peux parler de libération. »
C’est ça que vous diriez à ces jeunes qui ont l’impression de devoir subir ce destin qui semble préconstruit pour eux, qu’il faut « défier le destin et transformer leur trajectoire » ?
J’ai envie de leur dire qu’il n’y a pas de fatalité. Qu’ils ne croient pas avoir tiré les mauvaises cartes et qu’ils ne peuvent plus rien changer. Ils doivent cesser d’avoir honte et apprendre à s’aimer. Ils peuvent tout transformer, par la volonté, la discipline et le courage. Mais ils doivent fournir plus d’effort que la moyenne parce que ce qu’ils ont à affronter, c’est plus dur que ceux qui ont tout pour eux.
Votre destin est entre vos mains. Acceptez d’être responsable de votre destin. Vous n’êtes pas responsable de votre naissance, c’est vrai, mais vous êtes responsable de ce que vous faites de votre vie après. Vous êtes responsable de ce que vous faites des outils, des choses, des connaissances que vous avez entre nos mains. Vous pouvez avoir tiré des mauvaises cartes, mais vous ne pouvez pas passer toute votre vie à vous dire que « avec les cartes que j’ai, je ne pourrai rien faire de ma vie. ». Ce n’est pas vrai ! Prenez l’exemples des sportifs paralympiques ! Vous avez les mêmes capacités que les autres. Oui, quand on n’a pas eu de père, de mère ou les deux, ce n’est pas la même histoire ; on ne va pas se raconter de bobards – il faut en donner plus, il faut en faire plus que les autres. En faisant comme les autres, vous obtiendrez moins, donc pour avoir comme les autres, vous devez en faire plus. Mais vous pouvez le faire.
Aujourd’hui, Paul vit une vie haute en couleur ! Il souhaite consacrer sa carrière à aider les autres qui, comme lui, ont été perdus à un moment donné de leur vie et les aider à « redevenir les capitaines de leur destin » ; ce projet s’est concrétisé dans l’entreprise www.rebootmylife.fr